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Je te consacrerai mes chansons les plus belles :
Pour toi j’aurai toujours des bouquets d’immortelles
        Et des fleurs sans parfum.
J’ai planté mon jardin, ô mort, avec tes arbres ;
L’if, le buis, le cyprès y croisent sur les marbres
        Leurs rameaux d’un vert brun.

J’ai dit aux belles fleurs, doux honneur du parterre,
Au lis majestueux ouvrant son blanc cratère,
        A la tulipe d’or,
A la rose de mai que le rossignol aime,
J’ai dit au dahlia, j’ai dit au chrysanthème,
        A bien d’autres encor.

Ne croissez pas ici ! cherchez une autre terre,
Frais amours du printemps ; pour ce jardin austère
        Votre éclat est trop vif :
Le houx vous blesserait de ses pointes aiguës,
Et vous boiriez dans l’air le poison des ciguës,
        L’odeur âcre de l’if.

Ne m’abandonne pas, ô ma mère, ô nature,
Tu dois une jeunesse à toute créature,
        A toute âme un amour ;
Je suis jeune et je sens le froid de la vieillesse,
Je ne puis rien aimer. Je veux une jeunesse,
        N’eût-elle qu’un seul jour.

Ne me sois pas marâtre, ô nature chérie,
Redonne un peu de sève à la plante flétrie
        Qui ne veut pas mourir ;
Les torrents de mes yeux ont noyé sous leur pluie
Son bouton tout rongé que nul soleil n’essuie,
        Et qui ne peut s’ouvrir.