Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/60

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Je sors d’entre les mains d’une mort plus avare
Que celle qui veillait au tombeau de Lazare ;
        Elle garde son bien :
Elle lâche le corps mais elle retient l’âme ;
Elle rend le flambeau, mais elle éteint la flamme,
        Et Christ n’y pourrait rien.

Je ne suis plus, hélas ! que l’ombre de moi-même,
Que la tombe vivante où gît tout ce que j’aime,
        Et je me survis seul,
Je promène avec moi les dépouilles glacées
De mes illusions, charmantes trépassées
        Dont je suis le linceul.

Je suis trop jeune encor, je veux aimer et vivre,
O mort… et je ne puis me résoudre à te suivre
        Dans le sombre chemin ;
Je n’ai pas eu le temps de bâtir la colonne
Où la gloire viendra suspendre ma couronne ;
        O mort, reviens demain !

Vierge aux beaux seins d’albâtre, épargne ton poëte,
Souviens-toi que c’est moi qui le premier t’ai faite
        Plus belle que le jour ;
J’ai changé ton teint vert en pâleur diaphane,
Sous de beaux cheveux noirs j’ai caché ton vieux crâne,
        Et je t’ai fait la cour.

Laisse-moi vivre encor, je dirai tes louanges,
Pour orner tes palais, je sculpterai des anges,
        Je forgerai des croix ;
Je ferai dans l’église et dans le cimetière
Fondre le marbre en pleurs et se plaindre la pierre
        Comme au tombeau des rois !