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Aux autres, que l’on voit sans qu’on s’en épouvante
Passer et repasser dans la cité vivante
        Sous leur linceul de chair,
L’invisible néant, la mort intérieure
Que personne ne sait, que personne ne pleure,
        Même votre plus cher.

Car, lorsque l’on s’en va dans les villes funèbres
Visiter les tombeaux inconnus ou célèbres,
        De marbre ou de gazon ;
Qu’on ait ou qu’on n’ait pas quelque paupière amie
Sous l’ombrage des ifs à jamais endormie,
        Qu’on soit en pleurs ou non,

On dit : Ceux-là sont morts. La mousse étend son voile
Sur leurs noms effacés ; le ver file sa toile
        Dans le trou de leurs yeux ;
Leurs cheveux ont percé les planches de la bière,
A côté de leurs os, leur chair tombe en poussière
        Sur les os des aïeux.

Leurs héritiers, le soir, n’ont plus peur qu’ils reviennent ;
C’est à peine à présent si leurs chiens s’en souviennent.
        Enfumés et poudreux,
Leurs portraits adorés traînent dans les boutiques,
Leurs jaloux d’autrefois font leurs panégyriques ;
        Tout est fini pour eux.

L’ange de la douleur, sur leur tombe en prière,
Est seul à les pleurer de ses larmes de pierre.
        Comme le ver leur corps,
L’oubli ronge leur nom avec sa lune sourde ;
Ils ont pour draps de lit six pieds de terre lourde.
        Ils sont morts ! et bien morts !