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En montant au sommet de la haute falaise
D’où sur la pleine mer le regard plane à l’aise,
N’apercevez-vous pas, là-bas, à l’horizon
Où du jour qui s’éteint luit le dernier tison,
Un point presque effacé ?
                                        Sans doute une mouette
Faisant au bout d’un flot sa folle pirouette ;
De l’ouragan futur un albatros, joyeux,
Une aile dans la mer et l’autre dans les cieux ;
Ou bien une dorade, un requin en voyage
Trahissant à fleur d’eau son dos gris qui surnage…

Non pas. — C’est un steamer et déjà l’on peut voir,
Comme au cimier d’un casque un long panache noir,
S’écheveler au vent l’aigrette de fumée
Que pousse la vapeur de sa gueule enflammée.
Le voilà qui s’approche et se range aux îlots,
Et sa roue a cessé de souffleter les flots.

Du navire immobile un canot se détache.
L’eau, qui s’enfle et s’abaisse, et le montre et le cache.
Par instants, dans l’abîme on le croit englouti ;
Mais de l’âcre vallon péniblement sorti,
Bientôt il reparaît à la crête des lames,
Ouvrant et refermant l’éventail de ses rames.

Auprès du gouvernail, morne, silencieux,
Dans sa cape embossé, le chapeau sur les yeux,
Un jeune homme est assis. Comme un peuple en tumulte
Autour d’un Dieu, les flots lui crachent leur insulte ;
Le vent de son manteau fait palpiter les plis ;
L’esquif tremble et se plaint sous les coups du roulis ;