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Mais non ; il faut rester sur son lit mortuaire,
N’ayant pour se couvrir que le lin du suaire,
        N’entendant aucun bruit,
Sinon le bruit du ver qui se traîne et chemine
Du côté de sa proie, ouvrant sa sourde mine,
        Ne voyant que la nuit.

Puis, s’ils étaient jaloux, les morts, tout ce que Dante
A placé de tourments dans sa spirale ardente
        Près des leurs seraient doux.
Amants, vous qui savez ce qu’est la jalousie,
Ce qu’on souffre de maux à cette frénésie,
        Un cadavre jaloux !

Impuissance et fureur ! Être là, dans sa fosse,
Quand celle qu’on aimait de tout son amour, fausse
        Aux beaux serments jurés,
En se raillant de vous, dans d’autres bras répète
Ce qu’elle vous disait, rouge et penchant la tête
        Avec des mots sacrés.

Et ne pouvoir venir, quelque nuit de décembre,
Pendant qu’elle est au bal, se tapir dans sa chambre,
        Et lorsque, de retour,
Rieuse, elle défait au miroir sa toilette,
Dans le cristal profond réfléchir son squelette
        Et sa poitrine à jour,

Riant affreusement, d’un rire sans gencive,
Marbrer de baisers froids sa gorge convulsive,
        Et, tenaillant sa main,
Sa main blanche et rosée avec sa main osseuse,
Faire râler ces mots d’une voix caverneuse
        Qui n’a plus rien d’humain :