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Peut-être aux passions qui nous brûlaient, émue,
La cendre de nos cœurs vibre encore et remue
        Par-delà le tombeau,
Et qu’un ressouvenir de ce monde dans l’autre,
D’une vie autrefois enlacée à la nôtre,
        Traîne quelque lambeau.

Ces morts abandonnés sans doute avaient des femmes,
Quelque chose de cher et d’intime ; des âmes
        Pour y verser la leur ;
S’ils étaient éveillés au fond de cette tombe,
Où jamais une larme avec des fleurs ne tombe,
        Quelle affreuse douleur !

Sentir qu’on a passé sans laisser plus de marque
Qu’au dos de l’océan le sillon d’une barque ;
        Que l’on est mort pour tous ;
Voir que vos mieux aimés si vite vous oublient,
Et qu’un saule pleureur aux longs bras qui se plient
        Seul se plaigne sur vous.

Au moins, si l’on pouvait, quand la lune blafarde,
Ouvrant ses yeux sereins aux cils d’argent regarde
        Et jette un reflet bleu
Autour du cimetière, entre les tombes blanches,
Avec le feu follet dans l’herbe et sous les branches,
        Se promener un peu !

S’en revenir chez soi, dans la maison, théâtre
De sa première vie, et frileux, près de l’âtre,
        S’asseoir dans son fauteuil,
Feuilleter ses bouquins et fouiller son pupitre
Jusqu’au moment où l’aube illuminant la vitre,
        Vous renvoie au cercueil.