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La mort fait la coquette et prend un ton de reine,
Et son front seulement sous ses cheveux d’ébène,
Comme un charme de plus garde un peu de pâleur.

Les émaux les plus vifs scintillent sur les armes,
L’albâtre s’attendrit et fond en blanches larmes ;
Le bronze semble avoir perdu sa dureté.

Dans leur lit les époux sont arrangés par couples,
Leurs têtes font ployer les coussins doux et souples,
Et leur beauté fleurit dans le marbre sculpté.

Ce ne sont que festons, dentelles et couronnes,
Trèfles et pendentifs et groupes de colonnes
Où rit la fantaisie en toute liberté.

Aussi bien qu’un tombeau, c’est un lit de parade,
C’est un trône, un autel, un buffet, une estrade ;
C’est tout ce que l’on veut selon ce qu’on y voit.

Mais pourtant si poussé de quelque vain caprice,
Dans la nef, vers minuit, par la lune propice,
Vous alliez soulever le couvercle du doigt,


Toujours vous trouveriez, sous cette architecture,
Au milieu de la fange et de la pourriture
Dans le suaire usé le cadavre tout droit,

Hideusement verdi, sans rayon de lumière,
Sans flamme intérieure illuminant la bière
Ainsi que l’on en voit dans les Christs aux tombeaux.

Entre ses maigres bras, comme une tendre épouse,
La mort les tient serrés sur sa couche jalouse
Et ne lâcherait pas un seul de leurs lambeaux.