Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je te vois déployant ta chevelure brune,
Et nous questionnant pour savoir si quelqu’une
Dans notre France avait les cheveux assez longs
Pour filer d’un seul jet de la nuque aux talons.

Et toi qui demeurais, ainsi qu’une sultane,
Dans un palais moresque aux murs de filigrane,
Dolorès, belle enfant à l’œil déjà rêveur,
Que nous reconduisions, — ô la douce faveur ! —
Sans duègne revêche et sans parents moroses,
Près du Généralife où sont les lauriers-roses,
Te souvient-il encor de ces deux étrangers
Qui demandaient toujours à voir les orangers,
Les boléros dansés au son des séguidilles,
Les basquines de soie et les noires mantilles ?
Nous parlions l’espagnol comme toi le français,
Nous commencions les mots et tu les finissais,
Et, malgré notre accent au dur jota rebelle,
Tu comprenais très bien que nous te trouvions belle.

Quoiqu’il fît nuit, le ciel brillait d’un éclat pur,
Cent mille astres, fleurs d’or, s’entr’ouvraient dans l’azur,
Et, de son arc d’argent courbant les cornes blanches,
La lune décochait ses flèches sous les branches ;
La neige virginale et qui ne fond jamais
Scintillait vaguement sur les lointains sommets,
Et du ciel transparent tombait un jour bleuâtre
Qui, baignant ton front pur des pâleurs de l’albâtre,
Te faisait ressembler à la jeune péri
Revenant visiter son Alhambra chéri.

Pour toi les derniers vers, toi que j’aurais aimée,
Gracia, tendre fleur dont mon âme charmée,
Pour l’avoir respirée un moment, gardera