Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/138

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Là, pas d'oiseau chanteur, ni d’abeille en voyage,
Pas de ramier plaintif déplorant son veuvage ;
Mais bien quelque vautour, quelque aigle montagnard,
Sur le disque enflammé fixant son œil hagard,
Et qui, du haut du pic où son pied prend racine,
Dans l’or fauve du soir durement se dessine.
Tel était le rocher que Moïse, au désert,
Toucha de sa baguette, et dont le flanc ouvert,
Tressaillant tout à coup, fit jaillir en arcade
Sur les lèvres du peuple une fraîche cascade.
Ah ! s’il venait à moi, dans mon aridité,
Quelque reine des cœurs, quelque divinité,
Une magicienne, un Moïse femelle,
Traînant dans le désert les peuples après elle,
Qui frappât le rocher de mon cœur endurci !
Comme de l’autre roche, on en verrait aussi
Sortir en jets d’argent des eaux étincelantes,
Où viendraient s’abreuver les racines des plantes ;
Où les pâtres errants conduiraient leurs troupeaux
Pour se coucher à l’ombre et prendre le repos ;
Où, comme en un vivier, les cigognes fidèles
Plongeraient leurs grands becs et laveraient leurs ailes.


La Guardia.