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Et me ressouvenant des fables qu’on débite,
Enfant, je croyais voir au fond de cet orbite,
Que l’œil n’anime plus, de blafardes lueurs;
Et, quand il me fallait passer là, des sueurs
M’inondaient, tour à tour brûlantes et glacées:
J’aurais fait le serment que les dents déchaussées
De cet épouvantail en ricanant grinçaient,
Et que confusément des mots s’en élançaient.
À présent jeune encor, mais certain que notre âme,
Inexplicable essence, insaisissable flamme,
Une fois exhalée, en nous tout est néant,
Et que rien ne ressort de l’abîme béant
Où vont, tristes jouets du temps, nos destinées,
Comme au cours des ruisseaux les feuilles entraînées,
Sans peur je la regarde, et je dis: «Quelques ans,
Que sais-je! quelques mois, un espace de temps
Beaucoup plus court, demain, après-demain peut-être,
Les yeux de mes amis ne pourront me connaître,
Tête de mort livide à mon tour. — Celle-ci
Est celle d’une femme autrefois morte ici,
Dont voilà le portrait qui, dans son cadre, semble
Vous regarder, sourire et remuer; l’ensemble
De ses traits ingénus, de fraîcheur éclatants,
Montre qu’elle touchait à peine à son printemps.
Pourtant elle mourut; bien des larmes coulèrent
Sans doute à son convoi, bien des fleurs s’effeuillèrent
Sur sa tombe, tributs de pieuses douleurs
Sans doute. — Mais le temps sait arrêter les pleurs,
Et, des premiers chagrins l’amertume passée,
Bientôt l’on oublia la belle trépassée.
— Belle, qui le dirait? où sont ces cheveux blonds
Qui roulent vers son col si soyeux et si longs;
Cette joue aux contours ondoyants, aussi fraîche
Qu’au beau soleil d’été le duvet d’une pêche,