Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/453

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avec la raison vous n’ayez aussi perdu la mémoire, c’est que dans toutes les Églises il y a un certain nombre de gens de bien qui honorent Dieu par la justice et par la charité. Nous connaissons de ces sortes de gens parmi les luthériens ; nous en connaissons parmi les réformés, les mennonites, les enthousiastes ; et pour n’en citer qu’un petit nombre, vous n’êtes pas sans savoir que vos propres aïeux, au temps du duc d’Albe, souffrirent pour leur religion des tourments de toute espèce avec une constance et une liberté d’âme admirables. Il faut donc bien que vous accordiez qu’une vie sainte n’est pas le privilège de l’Église romaine ; elle peut se rencontrer dans toutes les Églises. Et comme c’est par la sainteté de la vie que nous connaissons, pour parler avec l’apôtre Jean (Épître I, chap. IV, vers. 13), que nous demeurons en Dieu et que Dieu demeure en nous, il s’ensuit que ce qui distingue l’Église romaine de toutes les autres est entièrement superflu, et par conséquent est l’ouvrage de la seule superstition. Oui, je le répète avec Jean, c’est la justice et la charité qui sont le signe le plus certain, le signe unique de la vraie foi catholique : la justice et la charité, voilà les véritables fruits du Saint-Esprit. Partout où elles se rencontrent, là est le Christ ; et le Christ ne peut pas être là où elles ne sont plus, car l’Esprit du Christ peut seul nous donner l’amour de la justice et de la charité. Croyez, Monsieur, que si vous aviez pesé ces pensées au dedans de vous-même, vous ne vous seriez point perdu et vous n’auriez point causé la peine la plus vive à vos parents, qui gémissent aujourd’hui sur votre sort.

Mais je reviens à votre lettre, où vous commencez par déplorer que je me laisse prendre aux séductions du prince des esprits rebelles. Sur quoi je vous prie de vous tranquilliser et de revenir à vous-même. Du temps que vous aviez l’esprit libre, vous adoriez, si je ne me trompe, un Dieu infini par qui tout se fait et se conserve. Quel est donc cet ennemi de Dieu que rêve aujourd’hui votre