Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/449

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scartes, qui ne pouvait, disait-il, expliquer la variété par l’étendue qu’en l’y supposant produite par l’activité motrice de Dieu. Il me paraît donc que Descartes ne déduit pas, comme vous le dites, l’existence des corps du concept d’une matière en repos, à moins que vous ne comptiez pour rien la supposition d’un Dieu moteur. J’ajoute que vous ne montrez pas comment l’existence des corps doit résulter a priori de l’existence de Dieu, difficulté capitale et que Descartes croyait au-dessus de la portée de l’esprit humain. Je sais fort bien que vous avez sur cette matière d’autres pensées que Descartes, et c’est pourquoi je vous supplie de me faire part de vos lumières, à moins que vous n’ayez quelque bonne raison qui vous ait détourné jusqu’à ce jour de faire connaître le fond de vos sentiments. Du moins, si vous jugez, comme j’en suis convaincu, qu’avec moi cette réserve cesse d’être nécessaire, veuillez me donner quelque indication dont je puisse profiter. En tout cas, soit que vous me parliez à cœur ouvert, soit que vous teniez votre pensée secrète, croyez que mon affection pour vous reste inaltérable.

Ce qui me fait désirer particulièrement l’explication de la difficulté que je vous propose, c’est que j’ai remarqué, dans mes études mathématiques, que l’on ne déduit jamais d’une chose quelconque prise en soi, c’est-à-dire, de la définition de cette chose, qu’une seule propriété ; et si l’on veut connaître plusieurs propriétés de la chose en question, il devient nécessaire de la comparer avec d’autres choses ; car alors, par le rapprochement de ces diverses définitions, on découvre des propriétés nouvelles. Par exemple, si je considère la circonférence d’un cercle en elle-même, tout ce que je puis savoir, c’est qu’elle est partout semblable à elle-même, c’est-à-dire parfaitement uniforme, ce qui la distingue essentiellement de toutes les autres courbes ; mais je ne puis rien dire de plus. Maintenant, si je viens à comparer cette circonférence à d’autres lignes, aux rayons du cercle, par exemple, ou à deux lignes qui se coupent, ou à d’autres