Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/439

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sur lequel il insiste avec une confiance parfaite, pour ne pas dire excessive. Qui me contestera, dit-il, à moins d’être démenti par sa propre conscience, que je sois maître de penser actuellement dans mon for intérieur que je veux ou que je ne veux pas écrire ? Mais je voudrais bien savoir de quelle sorte de conscience nous parle ici votre ami, si ce n’est pas celle que j’ai décrite tout à l’heure en me servant de l’exemple de la pierre. Pour moi, qui tiens autant que lui à ne pas être démenti par ma conscience, c’est-à-dire par l’expérience et la raison, et qui de plus ne veux point entretenir les préjugés et l’ignorance, je nie formellement que je puisse penser, d’une puissance de penser absolue, que je veux actuellement ou que je ne veux pas écrire. Et ici j’en appelle à mon tour à la conscience de votre ami, et je lui demande s’il n’a pas éprouvé que dans les songes il ne possède pas cette puissance de vouloir ou de ne pas vouloir écrire, et que, quand il songe qu’il veut écrire, il n’a pas le pouvoir de ne pas songer qu’il veut écrire ; je lui demande encore si l’expérience ne lui a pas montré que l’âme n’est pas toujours également propre à penser à un même objet, mais que, suivant que le corps est plus ou moins disposé à ce que l’image de tel ou tel objet soit actuellement excitée dans le cerveau, l’âme est plus ou moins propre à la contemplation de cet objet 5.

Votre ami ajoute que les causes pour lesquelles il a appliqué son esprit à écrire l’ont poussé sans doute, mais non forcé, à cette action. Mais cela ne signifie rien de plus (à bien peser la chose) sinon que son esprit était alors ainsi disposé que des causes qui, dans une autre rencontre, quand, par exemple, il avait l’âme agitée de quelque violente passion, eussent été incapables de le déterminer à écrire, l’y ont en ce moment déterminé sans difficulté : en d’autres termes, ces causes, qui ne l’eussent pas contraint à écrire dans des circonstances différentes l’y ont contraint