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le, Dieu est libre dans son existence nécessaire ; car il existe par la seule nécessité de sa nature. Dieu est libre dans l’intelligence de soi-même et de toutes choses ; car il résulte de la seule nécessité de sa nature que son intelligence doit tout embrasser. Vous voyez donc bien qu’à mes yeux la liberté n’est point dans le libre décret, mais dans une libre nécessité.

Descendons maintenant aux choses créées, qui toutes sont déterminées à exister et à agir suivant une certaine loi 3. Et pour plus de clarté, prenons un exemple très-simple. Une pierre soumise à l’impulsion d’une cause extérieure en reçoit une certaine quantité de mouvement, en vertu de laquelle elle continue de se mouvoir, même quand la cause motrice a cessé d’agir. Cette persistance dans le mouvement est forcée ; elle n’est pas nécessaire, parce qu’elle doit être définie par l’impulsion de la cause extérieure. Ce que je dis d’une pierre se peut appliquer à toute chose particulière, quelles que soient la complexité de sa nature et la variété de ses fonctions, par cette raison générale que toute chose, quelle qu’elle soit, est déterminée par quelque cause extérieure à exister et à agir suivant une certaine loi.

Concevez maintenant, je vous prie, que cette pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, soit capable de penser, et de savoir qu’elle s’efforce, autant qu’elle peut, de continuer de se mouvoir. Il est clair qu’ayant ainsi conscience de son effort, et n’étant nullement indifférente au mouvement, elle se croira parfaitement libre et sera convaincue qu’il n’y a pas d’autre cause que sa volonté propre qui la fasse persévérer dans le mouvement. Voilà cette liberté humaine dont tous les hommes sont si fiers. Au fond, elle consiste en ce qu’ils connaissent leur appétit par la conscience, et ne connaissent pas les causes extérieures qui les déterminent. C’est ainsi que l’enfant s’imagine qu’il désire librement le lait qui le nourrit ; s’il