Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/424

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comprenant soi-même, soit contraint par aucune sorte de fatalité ; tout le monde pense que Dieu se comprend soi-même avec une parfaite liberté, quoique nécessairement. Je ne vois rien dans tout cela qui ne puisse être compris par une intelligence quelconque. Mais si notre critique se persuade que j’établis ces principes avec de mauvaises intentions, que dira-t-il de son ami Descartes, qui soutient qu’il n’arrive rien au dedans de nous que Dieu ne l’ait ordonné d’avance, et en outre, qu’à chaque moment de la durée nous sommes créés de nouveau par Dieu, tout en conservant notre libre arbitre, ce que personne, au sentiment de Descartes lui-même, n’est capable de concevoir ?

J’ajoute que cette inévitable nécessité des choses ne détruit ni les lois divines ni les lois humaines ; car les préceptes de la morale, qu’ils reçoivent ou non de Dieu même la forme d’une loi, n’en sont pas moins divins ni moins salutaires ; et le bien qui résulte pour nous de l’exercice de la vertu et de l’amour de Dieu, soit que Dieu nous le donne à titre de juge, soit qu’il découle nécessairement de la nature même de Dieu, en est-il, je le demande, dans l’un ou l’autre cas, plus ou moins désirable ? Et de même, les maux qui résultent des actions mauvaises sont-ils moins redoutables, parce qu’ils en résultent nécessairement ? Enfin, que nos actions soient libres ou nécessitées, n’est-ce pas toujours la crainte et l’espérance qui nous conduisent ? C’est donc faussement qu’on affirme que dans ma doctrine je ne laisse aucune place aux préceptes et aux commandements moraux ; ou encore qu’il n’y a plus aucun espoir de récompense, aucune crainte de punition, du moment qu’on rapporte toutes choses au fatum, et qu’on les fait découler de la nature de Dieu avec une nécessité insurmontable.

Je ne veux point demander ici pourquoi l’on prétend que c’est une seule et même chose, ou peu s’en faut, de faire tout découler nécessairement de la nature de Dieu, ou de soutenir que Dieu, c’est l’univers ; mais je vous