Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/423

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me suis dépouillé de toute religion. Je ne sais pas bien ce qu’on entend ici par religion et par superstition. Est-ce rejeter toute religion, je le demande, que de reconnaître Dieu comme le souverain bien, et de penser qu’à ce titre il le faut aimer d’une âme libre ? Soutenir que toute notre félicité, que la plus haute liberté consistent dans cet amour, que le prix de la vertu, c’est la vertu même, et qu’une âme aveugle et impuissante trouve son supplice dans cet aveuglement même, dire enfin que tout homme doit aimer son prochain et obéir aux commandements du souverain, est-ce là, je le répète, renier toute religion ? Et tous ces principes, je ne me suis pas borné à les poser expressément ; je les ai démontrés par les raisons les plus solides. Mais je crois voir maintenant dans quels sentiments pleins de bassesse cet homme est enfoncé. La raison, la vertu pour elle-même n’ont à ses yeux aucun attrait, et le bonheur serait pour lui de vivre au gré de ses passions, s’il ne redoutait le châtiment. Ainsi donc il ne s’abstient du mal et n’obéit aux divins commandements qu’avec hésitation et à regret, comme ferait un esclave ; et pour prix de cet esclavage il attend de Dieu des récompenses qui ont infiniment plus de valeur à ses yeux que l’amour divin. Plus il aura ressenti d’éloignement et d’aversion pour le bien, plus il espère être récompensé ; et de là il se croit le droit de penser que tous ceux qui ne sont point retenus par la même crainte vivent sans loi et rejettent toute religion. Mais je laisse tout cela pour en venir à la manière dont il argumente pour établir que j’enseigne en secret l’athéisme.

Le fort de son raisonnement, c’est qu’il pense que je nie la liberté de Dieu et que je le soumets au fatum. Or cela est très-certainement faux ; car j’ai établi que toutes choses suivent de la nature de Dieu par une nécessité inévitable, de la même façon que tout le monde établit qu’il suit de la nature de Dieu que Dieu a l’intelligence de soi-même ; or personne ne nie cette dépendance nécessaire, et cependant personne ne croit que Dieu, en se