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malheureux 2 ; car la raison fait ma jouissance, et le but où j’aspire dans cette vie, ce n’est point de la passer dans la douleur et les gémissements, mais dans la paix, la joie et la sérénité. Voilà le terme de mes désirs, et mon bonheur est d’en approcher peu à peu de quelques degrés. Mais n’allez pas croire que cela m’empêche de reconnaître cette vérité (qui est même la source du contentement et de la tranquillité de mon âme) : je veux dire que tout arrive par la puissance de l’Être souverainement parfait et selon l’ordre immuable de ses décrets.

Pour en venir à votre lettre, Monsieur, je vous remercie sincèrement de m’avoir fait connaître vos sentiments sur les matières de philosophie ; mais de mettre sur mon compte toutes les conséquences que vous prétendez inférer de ma lettre, voilà ce dont je ne vous remercie point du tout. Comment ai-je pu, je vous prie, vous donner sujet de m’attribuer des opinions comme celles-ci : que les hommes sont semblables aux bêtes, qu’ils périssent comme elles, que nos œuvres déplaisent à Dieu, etc. ? Il est vrai que sur ce dernier point nous sommes en complet dissentiment ; car selon vous Dieu ne se réjouit de nos œuvres qu’en ce sens qu’il voit que son but est atteint et que l’événement est d’accord avec ses vœux. Mais n’ai-je pas déclaré le plus clairement du monde que les bons honorent Dieu, qu’ils deviennent plus parfaits par le culte qu’ils lui rendent, qu’ils aiment Dieu ? .… Est-ce là, je le demande, les assimiler aux bêtes ? est-ce dire qu’ils périssent comme elles, et que leurs œuvres ne plaisent point à Dieu ? Si vous aviez lu ma lettre avec un peu plus d’attention, vous auriez aperçu aisément que tout notre dissentiment est dans ce seul point, savoir : si Dieu, quand il communique aux bons les perfections qu’ils reçoivent de lui, les leur communique comme juge (c’est là votre sentiment) ou comme