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LETTRES.

LETTRE XII.[1]

RÉPONSE À LA PRÉCÉDENTE
À MONSIEUR HENRI OLDENBOURG,
B. DE SPINOZA


Monsieur,

Quand j’ai dit dans ma dernière lettre que ce qui nous rend inexcusables, c’est que nous sommes en la puissance de Dieu comme l’argile entre les mains du potier, j’entendais par là que nul ne peut accuser Dieu de lui avoir donné une nature infirme ou une âme impuissante. Et de même qu’il serait absurde que le cercle se plaignit de ce que Dieu lui a refusé les propriétés de la sphère, ou que l’enfant qui souffre de la pierre se plaignît de ce qu’il ne lui a pas donné un corps bien constitué, de même un homme dont l’âme est impuissante ne peut être reçu à se plaindre, soit de n’avoir pas eu en partage et la force, et la vraie connaissance, et l’amour de Dieu, soit d’être né avec une constitution tellement faible qu’il est incapable de modérer et de contenir ses passions. En effet, rien n’est compris dans la nature de chaque chose que ce qui résulte nécessairement de la cause qui la produit. Or qu’un certain homme ait une âme forte, c’est ce qui n’est point compris dans sa nature, et personne ne peut contester, à moins de nier l’expérience et la raison, qu’il ne dépend pas plus de nous d’avoir un corps vigoureux que de posséder une âme saine. Vous insistez et vous dites : si les hommes tombent dans le péché par la nécessité de la nature, ils sont donc toujours excusables. Mais vous n’expliquez point quelle conclusion précise vous voulez tirer de là. Voulez-vous dire que Dieu ne peut s’irriter contre nous, ou bien que tous les hommes

  1. La XXVe des Opp. posth.