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LETTRES.

l’Épître I aux Corinthiens et faire comprendre les arguments de Paul, qui dans le système communément reçu paraissent bien faibles et bien aisés à réfuter. Et je ne veux même pas insister ici sur ce que les chrétiens ont pris au sens spirituel tout ce que les Juifs entendaient charnellement.

Je reconnais avec vous, Monsieur, la faiblesse humaine ; mais permettez-moi de vous demander si nous avons, nous faibles mortels, une connaissance de la nature assez grande pour être en état de déterminer jusqu’où s’étend sa force et sa puissance, et ce qui la surpasse. Que s’il n’est permis à personne d’élever sans arrogance une telle prétention, ce n’est donc pas manquer à la modestie que d’expliquer, autant que possible, les miracles par des causes naturelles ; et quant aux faits qu’on n’est pas en état d’expliquer et dont il est également impossible de prouver l’absurdité, il me semble convenable de suspendre son jugement à leur égard, et de donner ainsi pour unique base à la religion la sagesse de sa doctrine. Ne croyez pas, Monsieur, que les passages de l’Évangile de Jean et de l’Épître aux Hébreux que vous me citez soient contraires à mes sentiments ; ce qui vous le persuade, c’est que vous appliquez à des expressions orientales une mesure prise dans nos façons de parler européennes. Mais soyez sûr que, tout en écrivant son Évangile en grec, Jean hébraïse cependant. Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, est-ce que vous croyez, quand l’écriture dit que Dieu s’est manifesté dans la nue, ou qu’il a habité dans le tabernacle ou dans le temple, que Dieu s’est revêtu de la nature de la nue, de celle du temple ou du tabernacle ? Or, Jésus-Christ ne dit rien de plus de soi-même : il dit qu’il est le temple de Dieu, entendant par là, je le répète encore une fois, que Dieu s’est surtout manifesté dans Jésus-Christ. Et c’est ce que Jean a voulu exprimer avec plus de force encore par ces paroles : Le Verbe s’est fait chair. Mais je n’insiste pas davantage.


III. 32