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LETTRES.

Esprit, mais seulement par une certaine opinion qu’ils professent. En effet, c’est par les seuls miracles, c’est-à-dire par l’ignorance, source de toute malice, qu’ils défendent leur religion, comme font tous les autres ; et de là vient qu’ils tournent leur foi, quoique véritable, en superstition. Les souverains permettront-ils jamais qu’on apporte un remède à ce mal ? c’est ce dont je doute fort.

Enfin, pour vous montrer ouvertement ma pensée sur le troisième point, je dis qu’il n’est pas absolument nécessaire pour le salut de connaître le Christ selon la chair ; mais il en est tout autrement si on parle de ce Fils de Dieu, c’est-à-dire de cette éternelle Sagesse de Dieu qui s’est manifestée en toutes choses, et principalement dans l’âme humaine, et plus encore que partout ailleurs dans Jésus-Christ. Sans cette Sagesse, nul ne peut parvenir à l’état de béatitude, puisque c’est elle seule qui nous enseigne ce que c’est que le vrai et le faux, le bien et le mal. Et comme cette Sagesse, ainsi que je viens de le dire, s’est surtout manifestée par Jésus-Christ, ses disciples ont pu la prêcher, telle qu’elle leur a été révélée par lui, et ils ont montré qu’ils pouvaient se glorifier d’être animés de l’esprit du Christ plus que tous les autres hommes. Quant à ce qu’ajoutent certaines Églises, que Dieu a revêtu la nature humaine, j’ai expressément averti que je ne savais point ce qu’elles veulent dire ; et pour parler franchement, j’avouerai qu’elles me semblent parler un langage aussi absurde que celui qui dirait qu’un cercle a revêtu la nature du carré. Je pense que ces explications suffisent pour éclaircir mon sentiment sur les trois points que vous avez marqués. Plairont-elles aux chrétiens de votre connaissance, c’est ce que vous pouvez savoir mieux que moi. Adieu.