Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/366

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
366
LETTRES.

du 15 novembre. Vous vous bornez à m’indiquer les passages du Traité théologico-politique qui ont arrêté les lecteurs. J’avais espéré savoir en outre quelles sont les doctrines qui leur ont semblé, comme vous m’en aviez prévenu, ruiner la pratique de la piété. Mais pour vous dire toute ma pensée sur les trois points que vous avez marqués, je ne vous cacherai pas, en ce qui touche le premier, que j’ai dans l’âme une idée de Dieu et de la nature fort différente de celle que les nouveaux chrétiens ont coutume de défendre. Je crois, en effet, que Dieu est, comme on dit, la cause immanente de toutes choses et non la cause transitive[1]. Je le dis avec Paul : « Nous sommes en Dieu et nous nous mouvons en Dieu[2], » et je le dis peut-être aussi avec tous les anciens philosophes, bien que je l’entende d’une autre façon. J’ose même assurer que ç’a été le sentiment de tous les anciens Hébreux, ainsi qu’on le peut conjecturer de certaines traditions, si défigurées qu’elles soient en mille manières. Toutefois, ceux qui pensent que le Traité théologico-politique veut établir que Dieu et la nature sont une seule et même chose (ils entendent par nature une certaine masse ou la matière corporelle), ceux-là sont dans une erreur complète[3]. J’arrive à l’article des miracles. Je suis persuadé que c’est la seule sagesse de la doctrine qui fonde la certitude de la révélation divine, et non point les miracles, qui ne reposent que sur l’ignorance, comme je l’ai longuement fait voir dans le chapitre VI sur les miracles. J’ajoute ici que je reconnais entre la religion et la superstition cette différence principale, que celle-ci a pour fondement l’ignorance et celle-là la sagesse ; et voilà pourquoi le vulgaire des chrétiens se fait distinguer de ceux qui ne le sont pas, non point par la bonne foi, la charité et les autres dons du Saint-

  1. Voyez Éthique, propos. 8, part. 1.
  2. Acte des Apôtres, XVII, 28.
  3. Voy. Éthique, part. 1, Schol. de la Propos. 15 ; — et sur la distinction de la nature naturante et de la nature naturée, ibid., Schol. de la Propos. 29.