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et le plus grand que je reproche à ces philosophes, c’est de s’être si fort éloignés de la connaissance de la première cause et de l’origine de toutes choses ; le second, d’avoir ignoré la véritable nature de l’âme humaine ; le troisième, de n’avoir pas saisi la vraie cause de l’erreur. Trois points dont la véritable connaissance est si nécessaire qu’il faudrait être entièrement dépourvu d’études et d’instruction pour ne pas en être frappé. Que ces philosophes se soient égarés dans la connaissance de la cause première et de l’âme humaine, c’est ce qu’il est aisé de conclure de la vérité des trois propositions rappelées plus haut. Je m’occuperai donc uniquement de montrer combien est fondé le dernier reproche que je leur adresse.

Je ne dirai qu’un mot de Bacon, qui parle un peu confusément sur cette matière. Cet auteur ne prouve presque rien et ne fait guère que raconter ses opinions ; car il suppose premièrement, que l’esprit humain, sans parler des sens et de leurs tromperies, est trompé par sa nature même et compose ses connaissances suivant l’analogie de sa nature propre et non suivant l’analogie de l’univers, comme un miroir qui réfléchit mal les rayons émanés des objets et mêle sa nature à celle des choses, etc. Une seconde cause d’erreur, suivant Bacon, c’est que l’esprit humain est porté par sa nature aux généralités abstraites et transforme des choses passagères en lois invariables, etc. Une troisième cause d’erreur, c’est que l’esprit humain prend sans cesse des accroissements et ne peut s’arrêter ni se satisfaire. Enfin, toutes les autres causes d’erreur qu’il assigne encore se peuvent facilement réduire à cette cause unique, reconnue par Descartes, savoir : que la volonté de l’homme est libre et plus étendue que son entendement, ou, comme Bacon le dit (aph. 49) avec plus de confusion, que l’entendement n’est pas éclairé d’une lumière pure[1], mais d’une lumière offusquée par les nuages qu’y ré-

  1. Voyez Novum Organum, lib. 1, aph. 49.