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DE LA RÉFORME

on la retiendra parfaitement tant qu’on n’en aura pas lu plusieurs du même genre, parce qu’alors elle est seule à régner dans l’imagination ; mais qu’il y en ait dans l’esprit plusieurs du même genre, nous les imaginons toutes ensemble, et il est facile de les confondre. Je dis aussi corporel, car ce ne sont que les corps qui ont prise sur l’imagination. Puis donc que la mémoire est fortifiée par l’entendement et aussi sans l’entendement, il faut en conclure qu’elle est quelque chose de différent de l’entendement, et que, dans l’entendement considéré en soi, il n’y a ni mémoire ni oubli. Que sera donc la mémoire ? rien autre chose que la sensation même des impressions du cerveau, accompagnée de l’idée d’une durée déterminée qui s’est écoulée depuis cette sensation[1]. C’est ce que montre bien la réminiscence : car alors l’âme pense à la sensation, mais sans la notion d’une durée continue ; et ainsi l’idée de cette sensation n’est pas la durée même de la sensation, c’est-à-dire la mémoire elle-même. Quant aux idées elles-mêmes, sont-elles sujettes à quelque corruption, c’est ce que nous verrons dans la Philosophie. Et si quelqu’un trouvait tout cela trop absurde, il suffirait au but que nous nous proposons qu’il songeât que plus une chose est particulière, plus il est facile de la retenir, comme le prouve l’exemple précédemment cité d’une comédie. En outre, plus une chose est intelligible, plus il est facile de la retenir. D’où il résulte que nous ne pourrons pas ne pas retenir une chose extrêmement particulière et suffisamment intelligible.

Nous avons donc établi une distinction entre les idées vraies et les autres perceptions, et nous avons montré que les idées fictives, fausses et autres semblables ont

  1. Si la durée de la sensation est indéterminée, le souvenir est imparfait ; c’est ce que chacun semble avoir appris de la nature ; car souvent, pour mieux croire ce qu’une personne nous dit, nous demandons en quel lieu et dans quel temps le fait est arrivé ; et quoique les idées elles-mêmes aient leur durée dans l’esprit, cependant, accoutumés que nous sommes à déterminer la durée au moyen d’une certaine mesure du mouvement, ce qui a lieu encore au moyen de l’imagination, nous n’avons aucun souvenir qui se rapporte aux choses de l’esprit pur.