Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
330
DE LA RÉFORME

viendra d’une autre idée qui ne sera ni assez claire, ni assez distincte pour que nous puissions en conclure rien de certain au sujet de la chose dont il s’agit, c’est-à-dire qu’en général l’idée qui nous jette dans le doute n’est pas claire et distincte. Exemple : si quelqu’un n’a jamais été amené à penser que les sens nous trompent, soit par expérience, soit de toute autre façon, il ne doutera jamais si le soleil est plus grand ou plus petit qu’il ne paraît. Voilà pourquoi les paysans s’étonnent lorsqu’ils entendent dire que le soleil est beaucoup plus grand que le globe terrestre. Mais que l’on pense aux erreurs qui viennent des sens, alors le doute s’élève dans l’esprit[1] ; et qu’après avoir douté on vienne à acquérir une véritable connaissance des sens, que l’on sache comment, au moyen des organes, les choses sont représentées à distance, alors le doute disparaît de nouveau. D’où il suit que nous ne pouvons pas révoquer en doute les idées vraies, sous prétexte qu’il existe peut-être un Dieu trompeur qui nous abuse dans les choses même les plus certaines ; nous ne pouvons le faire que dans le cas où nous n’avons aucune idée claire et distincte, c’est-à-dire dans le cas où, revenant attentivement sur la connaissance que nous avons de l’origine de toutes choses, nous ne trouvons rien qui nous apprenne que Dieu n’est pas trompeur, et qui nous l’apprenne avec la même certitude que lorsque nous voyons en réfléchissant sur la nature du triangle que ses trois angles sont égaux à deux droits. Mais si nous avons de Dieu une connaissance égale à celle que nous avons d’un triangle, tout doute disparaît aussitôt. Et de la même manière que nous pouvons parvenir à cette connaissance du triangle, quoique nous ne sachions pas d’une manière certaine si quelque suprême trompeur ne nous abuse point, de la même manière aussi nous pouvons parvenir à une connaissance semblable de Dieu,

  1. C’est-à-dire que nous savons que les sens nous ont quelquefois trompés, mais nous ne le savons que confusément ; car nous ignorons comment les sens nous trompent.