Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
319
DE L’ENTENDEMENT.

exemple, je ne fais autre chose que rappeler à ma mémoire[1] une autre chandelle qui ne brûle pas (ou bien je conçois cette même chandelle sans flamme), et ce que je pense de cette autre chandelle, je le comprends de même de la première tant que je ne fais pas attention à la flamme. Dans le second exemple, je ne fais encore autre chose que retirer ma pensée de tous les corps environnants, et appliquer mon esprit tout entier à la considération de cette chandelle, prise uniquement en elle-même ; et j’en conclus que cette chandelle n’a plus à redouter aucune cause de destruction, de telle sorte que, si elle n’était environnée de corps étrangers, et la chandelle et la flamme demeureraient immuablement les mêmes, et autres choses semblables. Il n’y a donc point là de fictions, mais de véritables et pures assertions[2].

Arrivons aux fictions qui concernent les essences, soit seules, soit mêlées de quelque actualité ou existence. Et ce qu’il importe surtout de considérer, c’est que moins l’esprit comprend, tout en percevant beaucoup, plus grande est la faculté qu’il a de feindre, et plus il comprend, plus cette faculté diminue. Comme nous avons vu plus haut, par exemple, que nous ne pouvions, tant que nous pensons, feindre que nous pensons à la fois et ne pensons pas ; de même, lorsque la nature du corps nous est connue, nous ne pouvons feindre une mouche infinie ;

  1. Plus loin, en montrant le genre de fiction qui concerne les essences, nous montrerons clairement que la fiction ne produit et ne représente à l’esprit rien de nouveau ; que toutes les choses qui se trouvent dans le cerveau ou dans l’imagination sont simplement rendues présentes à la mémoire ; que l’esprit aperçoit toutes ces choses ensemble et d’une manière confuse. Par exemple, la faculté de parler et ce que nous appelons un arbre sont représentés à la mémoire ; et comme l’esprit ne voit ces choses que confusément et sans rien distinguer, il imagine que l’arbre parle. Il en arrive de même de l’existence, surtout, comme il a été dit, lorsque nous la concevons d’une manière aussi générale que l’être ; car alors elle peut s’appliquer à toutes les choses qui se présentent ensemble à la mémoire. Cela vaut la peine d’être remarqué.
  2. Il en faut dire autant des hypothèses que l’on fait pour expliquer certains mouvements qui accompagnent les phénomènes célestes, avec cette différence qu’en appliquant ces hypothèses aux mouvements célestes, on en tire des conclusions sur la nature des cieux, laquelle peut être différente, d’autant plus qu’il y a mille autres causes par lesquelles on pourrait rendre compte de ces mouvements.