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DE LA RÉFORME

hasard dans ce Traité quelques propositions paradoxales, de ne pas les rejeter d’abord comme erronées, mais de considérer auparavant l’ordre et l’enchaînement sur lequel elles s’appuient, et alors il ne lui restera plus aucun doute que nous n’ayons atteint la vérité. Voilà pourquoi j’ai commencé par ces préliminaires.

Ou bien encore quelque sceptique restera peut-être dans le doute tant sur la première vérité que nous avons que sur toutes celles que nous déduirons ensuite de la première, prise pour règle et pour loi. Mais s’il ne parle pas contre sa conscience, il faut qu’il soit de ces hommes qui naissent avec un esprit profondément aveuglé, ou qui se laissent égarer par les préjugés, c’est-à-dire par quelque influence étrangère. Ces gens-là ne se sentent pas eux-mêmes ; affirment-ils, restent-ils dans le doute, ils ne savent ni s’ils affirment ni s’ils doutent ; ils disent qu’ils ne savent rien, et cela même, qu’ils ne savent rien, ils disent qu’ils l’ignorent ; et ils ne disent même pas cela d’une manière absolue ; ils craignent d’avouer qu’ils existent, au moins pendant qu’ils ne savent rien ; tellement qu’ils devraient enfin rester muets, de peur de supposer l’existence de quelque chose qui sente quelque peu la vérité. Avec de telles gens, il ne faut point parler de sciences (car, pour ce qui est de la vie et des relations de la société, la nécessité les a contraints de supposer qu’ils existent, de rechercher leur intérêt, d’affirmer, de nier avec serment). En effet, quelque chose leur est-elle prouvée, ils ne savent si le raisonnement est démonstratif ou s’il est faux. Nient-ils, accordent-ils, font-ils des objections, ils ne savent point qu’ils nient, qu’ils accordent, qu’ils font des objections. À ce point qu’il faut les considérer comme des automates absolument privés d’intelligence.

Reprenons en peu de mots l’objet de ce Traité. Jusqu’ici nous avons premièrement déterminé la fin vers laquelle nous avons à cœur de diriger nos pensées. Nous avons en second lieu reconnu quelle est parmi nos per-