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DE L’ENTENDEMENT.

tration, nous devrions appuyer notre premier raisonnement sur un second, celui-ci sur un troisième, et ainsi à l’infini. À cela je réponds que si quelqu’un, par je ne sais quel heureux destin, eût procédé méthodiquement dans l’étude de la nature, c’est-à-dire que sous la loi de l’idée vraie il eût acquis de nouvelles idées dans l’ordre convenable, il ne lui fût jamais arrivé de douter de la vérité[1] de ses connaissances, parce que la vérité, comme nous l’avons montré, se manifeste par elle-même, et la science de toutes choses serait venue en quelque sorte au-devant de ses désirs. Mais parce que cela n’arrive jamais ou n’arrive que rarement, j’ai été forcé d’établir ces principes, afin que nous pussions acquérir avec réflexion et avec effort ce que nous ne pouvons devoir aux faveurs du destin, et en même temps afin de montrer que pour établir la vérité et bien raisonner il n’est besoin d’aucun instrument, mais que la vérité seule et le raisonnement seul suffisent ; car c’est en raisonnant bien que j’ai confirmé un bon raisonnement et que j’essaye encore de le confirmer. Ajoutez à cela que de cette manière les hommes prennent l’habitude de la méditation intérieure. Quant aux raisons qui nous empêchent de procéder avec ordre dans les recherches sur la nature, ce sont d’abord les préjugés, dont nous examinerons les causes plus tard dans notre Philosophie ; c’est aussi, comme nous le montrerons, la nécessité d’établir de nombreuses et d’exactes distinctions, ce qui est un pénible travail ; c’est enfin la condition des choses humaines, qui sont, comme on l’a montré, dans un changement perpétuel ; et il y a encore beaucoup d’autres raisons dont nous ne nous occupons pas.

Si quelqu’un demande pourquoi je n’ai pas commencé tout d’abord par exposer dans l’ordre convenable les vérités de la nature (la vérité se manifestant par elle-même), je lui réponds en le priant, s’il rencontre par

  1. De même qu’ici nous n’avons aucun doute sur la vérité de notre connaissance.