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DE L’ENTENDEMENT.

L’idée du cercle n’est pas quelque chose qui ait une circonférence, un centre, comme le cercle ; et l’idée du corps n’est pas le corps lui-même. Étant différente de son objet, l’idée sera par elle-même quelque chose d’intelligible ; je veux dire que l’idée, considérée dans son essence formelle, peut être l’objet d’une autre essence objective ; et à son tour cette autre essence objective, vue en elle-même, sera quelque chose de réel et d’intelligible, et ainsi indéfiniment. Pierre, par exemple, est quelque chose de réel ; l’idée vraie de Pierre est l’essence objective de Pierre ; elle a en elle-même quelque chose de réel, et elle est toute différente de Pierre lui-même. Mais puisque l’idée de Pierre est quelque chose de réel, ayant en soi son essence propre, elle sera quelque chose d’intelligible, c’est-à-dire qu’elle sera l’objet d’une autre idée, laquelle possédera objectivement en elle-même tout ce que l’idée de Pierre possède formellement ; et à son tour cette nouvelle idée, qui est l’idée de l’idée de Pierre, a son essence propre, et pourra devenir l’objet d’une autre idée, et ainsi indéfiniment. C’est ce dont chacun peut faire l’expérience ; ne sait-on pas ce qu’est Pierre ? de plus, ne sait-on pas qu’on le sait ? de plus, ne sait-on pas qu’on sait qu’on le sait, etc. ? D’où l’on voit que pour comprendre l’essence de Pierre il n’est pas nécessaire de comprendre l’idée même de Pierre, et bien moins encore l’idée de l’idée de Pierre ; et c’est comme si l’on disait qu’il n’est pas nécessaire, pour savoir, que l’on sache que l’on sait, et bien moins encore que l’on sache que l’on sait que l’on sait, non plus qu’il n’est nécessaire pour comprendre l’essence du triangle, de comprendre l’essence du cercle[1]. C’est justement le contraire qui a lieu dans ces idées ; en effet, pour savoir que je sais, il est nécessaire d’abord que je

  1. Remarquez que nous ne posons pas ici la question de savoir comment la première essence objective est innée en nous. Cela se rapporte à la théorie de la nature, où toutes ces choses sont amplement expliquées, et où l’on montre que sans l’idée il n’y a ni affirmation possible, ni négation, ni volonté.