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DE LA RÉFORME

re- une cause dans un certain effet, ou bien lorsque nous tirons une conclusion de quelque fait général constamment accompagné d’une certaine propriété.

IV. Enfin il y a une perception qui nous fait saisir la chose par la seule vertu de son essence, ou bien par la connaissance que nous avons de sa cause immédiate.

J’éclaircis tout cela par des exemples. Je sais seulement par ouï-dire quel est le jour de ma naissance, quels furent mes parents, et autres choses semblables sur lesquelles je n’ai jamais conçu de doute. C’est par une expérience vague que je sais que je dois mourir ; car si j’affirme cela, c’est que j’ai vu mourir plusieurs de mes semblables, quoiqu’ils n’aient pas tous vécu le même espace de temps, ni succombé à la même maladie. Je sais par une expérience vague que l’huile a la vertu de nourrir la flamme, et l’eau celle de l’éteindre ; je sais de la même manière que le chien est un animal qui aboie, et l’homme un animal doué de raison, et c’est ainsi que je connais à peu près toutes les choses qui se rapportent à l’usage ordinaire de la vie. Voici maintenant comment nous concluons une chose d’une autre : Ayant perçu clairement que nous sentons tel corps et non pas tel autre, nous en concluons que notre âme est unie à notre corps[1], laquelle union est la cause de la sensation. Mais[2] quelle est la nature de cette sensation, de cette union, c’est ce que nous ne pouvons comprendre

  1. Cet exemple met en évidence ce que je disais dans la note précédente. En effet, par cette union du corps et de l’âme nous ne comprenons pas autre chose que la sensation elle-même, c’est-à-dire l’effet, d’où nous concluons la cause, laquelle échappe à toutes les prises de notre intelligence.
  2. Une telle conclusion, quoique certaine, n’est pourtant pas suffisamment sûre, à moins qu’on ne prenne de grandes précautions ; si on ne les prend pas, on tombe aussitôt dans l’erreur. En effet, quand nous concevons les choses d’une manière si abstraite, et non dans leur véritable essence, aussitôt l’imagination met partout la confusion. Pourquoi ? c’est que ce qui est un en soi, les hommes l’imaginent multiple ; et les choses qu’ils conçoivent abstraitement, séparément, confusément, ils leur imposent des noms dont ils ont coutume de se servir pour exprimer des objets beaucoup plus familiers. De là il résulte qu’ils imaginent ces choses à la ressemblance des objets auxquels ces noms ont appartenu dans l’origine.