Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/303

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
303
DE L’ENTENDEMENT.

III. Ne rechercher l’argent et toute autre chose qu’autant qu’il est nécessaire pour entretenir la vie et la santé, et pour nous conformer aux mœurs de nos concitoyens en tout ce qui ne répugne pas à notre objet.

Ces règles posées, je commence par ce qui doit être fait avant tout le reste, et j’essaye de réformer l’entendement, et de le disposer à concevoir les choses de la manière dont elles doivent être conçues pour qu’il nous soit possible d’atteindre notre fin. Or, pour cela, l’ordre naturel exige que je résume les différents modes de perception sur la foi desquels jusqu’ici j’ai affirmé et nié sans crainte de me tromper, afin de choisir le meilleur et tout ensemble de commencer à connaître et mes forces et cette nature que je me propose de perfectionner.

À y regarder de près, tous nos modes de perception peuvent se ramener à quatre :

I. Il y a une perception que nous acquérons par ouï-dire, ou au moyen de quelque signe que chacun appelle comme il lui plaît.

II. Il y a une perception que nous acquérons à l’aide d’une certaine expérience vague, c’est-à-dire d’une expérience qui n’est point déterminée par l’entendement, et qu’on n’appelle de ce nom que parce qu’on a éprouvé que tel fait se passe d’ordinaire ainsi, que nous n’avons à lui opposer aucun fait contradictoire, et qu’il demeure, pour cette raison, solidement établi dans notre esprit.

III. Il y a une perception dans laquelle nous concluons une chose d’une autre chose, mais non d’une manière adéquate. C’est ce qui arrive[1] lorsque nous re-

  1. Ici la considération de l’effet ne nous fait rien comprendre touchant la nature de la cause. C’est ce qui est assez évident, soit parce que nous ne parlons jamais de la cause qu’en termes très-généraux, comme ceux-ci : Il existe donc quelque chose, il existe donc quelque puissance, etc. ; soit parce que nous ne l’exprimons que d’une manière négative : Ce n’est donc pas ceci, ou cela, etc. Quand le cas est favorable, on attribue bien à la cause quelque propriété empruntée à l’effet et clairement conçue, comme nous le montrerons dans un exemple ; mais cette propriété se rapporte toujours à l’effet, et n’est jamais l’essence propre de la chose.