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y a pour l’homme libre une aussi grande vertu à éviter les périls qu’à en triompher. C. Q. F. D.

Corollaire : On doit tenir compte à l’homme libre d’un aussi grand courage, quand il prend la fuite en de certains moments, que s’il engageait la lutte ; en d’autres termes, l’homme libre choisit la retraite comme le combat, avec un égal courage, avec une égale présence d’esprit.

Scholie : J’ai expliqué, dans le Schol. de la Propos. 59, part. 3, ce que c’est que le courage ou ce que j’entends par ce mot. Par péril, j’entends tout ce qui peut être cause de quelque mal, comme la tristesse, la haine, la discorde, etc.


PROPOSITION LXX

L’homme libre qui vit parmi des ignorants s’efforce, autant qu’il est en lui, de se soustraire à leurs bienfaits.

Démonstration : Chacun juge de ce qui est bien suivant son caractère (voyez le Schol. de la Propos. 39, part. 3). L’ignorant qui a rendu un service en estime donc le prix suivant son caractère ; et s’il s’aperçoit que l’obligé en fait moins de cas qu’il ne faut, il est saisi de tristesse (par la Propos. 42, part. 3). Or, l’homme libre désire s’unir aux autres hommes par l’amitié (en vertu de la Propos. 37, part. 4) ; mais ce qu’il veut, ce n’est pas de leur rendre des bienfaits qui leur paraissent égaux à ceux qu’il en reçoit ; il veut les conduire et se conduire lui-même par le libre jugement de la raison, et ne rien faire que ce qu’il sait être pour le mieux. Ainsi donc l’homme libre, pour éviter la haine des ignorants, pour ne pas se conformer à leurs désirs aveugles, mais bien à la raison seule, s’efforce, autant qu’il est en lui, de se soustraire à leurs bienfaits. C. Q. F. D.

Scholie : Je dis autant qu’il est en lui ; car bien que la plupart des hommes soient ignorants, il en est pourtant qui, dans les nécessités de la vie, sont capables de nous prêter secours, et le secours des hommes est le meilleur de tous : d’où il résulte qu’il est souvent nécessaire de