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Si l’on veut comparer ce qui précède avec les principes établis dans cette même partie jusqu’à la Propos 18 touchant la force des passions, on verra aisément la différence entre un homme qui se laisse gouverner par la seule passion et par l’opinion, et celui que la raison conduit. Le premier, en effet, qu’il le veuille ou non, agit sans savoir ce qu’il fait ; le second n’obéit qu’à lui-même., et ne fait rien qu’en sachant ce qu’il y a de mieux à faire dans la vie et ce qu’il désire le plus. C’est pourquoi je dis que le premier est un esclave et le second un homme libre.

Mais j’ai encore un petit nombre de remarques à ajouter sur le caractère et la manière de vivre de l’homme libre.


PROPOSITION LXVII

La chose du monde a laquelle un homme libre pense le moins, c’est la mort, et sa sagesse n’est point la méditation de la mort, mais de la vie.

Démonstration : L’homme libre, c’est-à-dire celui qui vit suivant les seuls conseils de la raison, n’est point dirigé dans sa conduite par la crainte (par la Propos. 63, part. 4), mais il désire directement le bien (par le Coroll. de la même Propos.), en d’autres termes (par la Propos. 24, part. 4), il désire agir, vivre, conserver son être d’après la règle de son intérêt propre ; et par conséquent, il n’est rien à quoi il pense moins qu’à la mort, et sa sagesse est la méditation de la vie. C. Q. F. D.


PROPOSITION LXVIII

Si les hommes naissaient libres, ils ne se formeraient aucune idée du bien ou du mal tant qu’ils garderaient cette liberté.

Démonstration : J’ai appelé libre celui qui se gouverne par la seule raison. Quiconque, par conséquent, naît libre et reste libre n’a d’autres idées que des idées adéquates, et partant il n’a aucune idée du mal (par le Coroll. de la Propos. 64, part. 4), ni du bien (puisque le bien et le mal sont choses corrélatives). C. Q. F. D.

Scholie : Il est évident, par la Propos. 4, part. 4, que l’hypothèse contenue dans la Proposition qu’on vient de