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On m’adressera peut-être cette question : Si le souverain bien de ceux qui suivent la vertu n’était pas commun à tous, ne s’ensuivrait-il pas, comme plus haut (par la Propos. 25, part. 4), que les hommes, en tant qu’ils vivent suivant la raison, c’est-à-dire (par la Propos. 35, part. 4), en tant qu’ils sont en conformité parfaite de nature, sont contraires les uns aux autres ? Je réponds à cela que ce n’est point par accident, mais par la nature même de la raison, que le souverain bien des hommes leur est commun à tous. Le souverain bien, en effet, est de l’essence même de l’homme en tant que raisonnable, et l’homme ne pourrait exister ni être conçu s’il n’avait pas la puissance de jouir de ce bien souverain, puisqu’il appartient à l’essence de l’âme humaine (par la Propos. 47, Part. 2) d’avoir une connaissance adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu.


PROPOSITION XXXVII

Le bien que désire pour lui-même tout homme qui pratique la vertu, il le désirera également pour les autres hommes, et avec d’autant plus de force qu’il aura une plus grande connaissance de Dieu.

Démonstration : Les hommes, en tant qu’ils vivent sous la conduite de la raison, sont très utiles l’un à l’autre (par le Coroll. 1 de la Propos. 35, part. 4), et conséquemment (par la Propos. 19, part. 4) la raison nous déterminera nécessairement à faire que les hommes vivent sous la conduite de la raison. Or le bien que désire pour lui-même celui qui vit suivant la raison, c’est-à-dire (par la Propos. 24, part. 4) celui qui pratique la vertu, c’est de comprendre (par la Propos. 26, part. 4). Donc ce même bien qu’il désire pour lui-même, il le désirera aussi pour les autres hommes. En outre, le désir, en tant qu’il se rapporte à l’âme, est l’essence même de l’âme (par la Déf. 1 des pass.) ; or, l’essence de l’âme consiste dans la connaissance (par la Propos. 11, part. 2), laquelle enveloppe la connaissance de Dieu (par la Propos. 47, part. 2), et ne peut, sans la connaissance de Dieu, ni exister, ni être conçue (par la Propos. 15, part. 1). Par conséquent, à mesure