Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/154

Cette page n’a pas encore été corrigée

de sa tristesse comme de sa joie ; en d’autres termes, que sa tristesse et sa joie sont souvent accompagnées de l’idée de soi-même comme cause ; d’où l’on peut comprendre ce que c’est que repentir et paix intérieure. Le repentir est une tristesse accompagnée de l’idée de soi-même ; et la paix intérieure, une joie accompagnée de l’idée de soi-même ; toujours à titre de cause ; et ces passions ont une très-grande force, parce que les hommes croient être libres (voyez la Propos. 49, partie 3).


PROPOSITION LII

Tout objet que nous avons déjà vu avec d’autres objets, ou en qui nous n’imaginons rien qui ne soit commun à plusieurs, nous ne le contemplerons pas aussi longtemps que celui en qui nous imaginons quelque chose de singulier.

Démonstration : En même temps que nous nous représentons un objet que nous avons déjà vu avec d’autres objets, nous nous rappelons ceux-ci (par la Propos. 18, partie 2, et son Schol.), et de cette façon, de la contemplation du premier objet nous allons aussitôt à celle des autres. Il en est de même d’un objet en qui nous n’imaginons rien qui ne soit commun à plusieurs. Car, par hypothèse, nous n’apercevons rien en lui que nous n’ayons déjà vu dans les autres. Au contraire, quand on suppose que nous imaginons en un certain objet quelque chose que nous n’avons point vu auparavant, c’est comme si l’on disait que l’âme, tant qu’elle contemple cet objet, n’a en elle-même aucun autre objet qui la puisse faire aller de la contemplation du premier à une autre contemplation ; et en conséquence, elle est déterminée à contempler ce premier objet d’une manière exclusive. Donc, tout objet, etc. C. Q. F. D.

Scholie : Cette affection de l’âme, savoir, la représentation d’une chose singulière, en tant qu’elle est dans l’âme, à l’exclusion de toute autre représentation, se nomme admiration ; quand elle est excitée en nous par un objet que nous redoutons, on la nomme consternation ; parce qu’alors cette affection attache notre âme avec une telle force qu’elle est incapable de penser à d’autres objets, qui cependant pourraient la