Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/153

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Nous voyons donc qu’il se peut faire qu’un homme haïsse ce qu’un autre aime, ou ne craigne point ce qu’un autre redoute ; et aussi qu’un seul et même homme aime ce qu’autrefois il détestait, et qu’il ose aujourd’hui ce que la crainte l’avait empêché de faire hier, etc. En outre, chacun jugeant selon ses passions de ce qui est bien ou mal, meilleur ou pire (voy. le Schol. de la Propos. 39, partie 3) il s’ensuit que les hommes peuvent différer dans leurs jugements autant que dans leurs passions ; * d’où il arrive que lorsque nous comparons les hommes, nous les distinguons par la seule différence des passions, et nous donnons à ceux-ci le nom d’intrépides, à ceux-là, le nom de timides, et à d’autres, d’autres noms. Par exemple, j’appellerai, quant à moi, intrépide celui qui méprise un mal que je suis accoutumé à craindre ; et si je remarque en outre que le désir qu’il éprouve de faire du mal à ce qu’il hait, et du bien à ce qu’il aime, n’est point empêché par la crainte d’un mal qui, d’ordinaire, me retient, je l’appellerai audacieux : celui-là, au contraire, me paraîtra timide, qui redoute un mal que je suis accoutumé à braver ; et si je remarque en outre que son désir est empêché par la crainte d’un mal qui ne peut, moi, me retenir, je dirai qu’il est pusillanime. Et chacun jugera, comme moi, suivant ses sentiments particuliers.

Enfin, la nature humaine étant ainsi faite et nos jugements inconstants à ce point ; si l’on ajoute que l’homme ne juge souvent des choses que par ses passions, et que souvent aussi les objets qu’il se représente commune des causes de joie ou de tristesse, et qu’il s’efforce en conséquence d’attirer à lui ou d’en éloigner (par la Propos. 28, partie 3). sont des objets tout imaginaires (pour ne point parler ici de tout ce qui a été expliqué dans la seconde partie touchant l’incertitude des choses), il est aisé de concevoir que l’homme est souvent pour beaucoup dans la cause