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de la pensée) ne consiste ni dans l’image d’une chose, ni dans des mots. Car ce qui constitue l’essence des mots et des images, ce sont des mouvements corporels, qui n’enveloppent nullement le concept de la pensée.

Mais ces quelques observations peuvent suffire sur ces objets, et je passe aux objections que j’ai annoncées : la première vient de ce qu’on tient pour constant que la volonté s’étend plus loin que l’entendement, et que c’est pour cette raison qu’elle ne s’accorde pas avec lui. Et ce qui fait penser que la volonté s’étend plus loin que l’entendement, c’est qu’on est assuré, dit-on, par l’observation de soi-même, que l’homme n’a pas besoin, pour porter des jugements sur une infinité de choses qu’il ne perçoit pas, d’une puissance de juger, c’est-à-dire d’affirmer ou de nier, plus grande que celle qu’il possède actuellement, au lieu qu’il lui faudrait une plus grande puissance de percevoir. La volonté est donc distinguée de l’entendement, parce que celui-ci est fini, celle-là, au contraire, infinie. On peut nous objecter, en second lieu, que s’il est une chose que l’expérience semble nous enseigner clairement, c’est que nous pouvons suspendre notre jugement, et ne point adhérer aux choses que nous percevons ; aussi on ne dira jamais qu’une personne se trompe en tant qu’elle perçoit un certain objet, mais en tant seulement qu’elle y donne son assentiment ou l’y refuse. Par exemple, celui qui se représente un cheval ailé ne prétend pas pour cela qu’un cheval ailé existe réellement ; en d’autres termes, il ne se trompe que si, au moment qu’il se représente un cheval ailé, il lui attribue la réalité. Il paraît donc que rien au monde ne résulte plus clairement de l’expérience que la liberté de notre volonté, c’est-à-dire de notre faculté de juger, laquelle est conséquemment différente de la faculté de concevoir. La troisième objection qu’on nous peut faire, c’est qu’une affirmation ne paraît pas contenir plus de réalité qu’une autre affirmation quelconque ; en d’autres termes, il ne semble pas que nous ayons besoin d’un pouvoir