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droit divin, prenant de là pleine permission de les accuser, de les traduire en jugement, et même (comme autrefois saint Ambroise à l’égard de l’empereur Théodose) de les bannir du sein de l’Église. Que ces personnes introduisent de la sorte dans l’État un principe de division et même s’ouvrent un chemin vers l’autorité suprême, c’est ce que nous montrerons plus tard dans ce chapitre ; je veux prouver auparavant que la religion n’acquiert force de droit que par le décret seul de ceux qui possèdent le droit de commander, que Dieu ne peut fonder son royaume parmi les hommes que par le moyen des souverains, et, en outre, que le culte et l’exercice de la piété doivent être d’accord avec la tranquillité et l’utilité publique, et par conséquent déterminés par le souverain qui doit de plus être l’interprète des choses sacrées. Je parle ici expressément de l’exercice de la piété et du culte extérieur de la religion, et non pas de la piété en elle-même, et du culte intérieur adressé à la Divinité, ou des moyens par lesquels l’esprit se dispose intérieurement à honorer Dieu dans toute l’intégrité de la conscience. Le culte intérieur adressé à la Divinité et la piété en elle-même appartiennent en propre à chacun (comme nous l’avons montré à la fin du chapitre VII) et ne peuvent être soumis à la volonté d’un autre. Or que faut-il entendre ici par royaume de Dieu ? c’est ce que le chapitre XIV, je pense, a suffisamment mis en lumière. Là, en effet, nous avons montré que celui-là remplit la loi de Dieu qui pratique la justice et la charité selon l’ordre de Dieu : d’où il suit que le royaume de Dieu existe là où la justice et la charité ont force de droit et s’imposent à titre de loi.

Peu importe du reste que Dieu enseigne et commande le vrai culte de la justice et de la charité par la simple lumière naturelle ou par révélation. Qu’importe la manière dont ce culte est révélé aux hommes, pourvu qu’il obtienne un empire absolu et qu’il soit pour eux une loi souveraine ? Si donc je montre que la justice et la charité