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TRAITÉ

sent été pour eux, non des lois, mais des vérités éternelles. Ce que nous disons ici des Israélites et d’Adam, il faut le dire également de tous les prophètes qui écrivirent des lois au nom de Dieu ; ils ne concevaient pas les décrets de Dieu comme des vérités éternelles, parce qu’ils n’en avaient pas une connaissance adéquate. Je prendrai pour exemple Moïse lui-même. Il comprit à la vérité, par la révélation qui lui fut faite, quel était le moyen qu’il fallait employer pour donner au peuple israélite la plus parfaite union en le conduisant dans une certaine région du monde, et pour constituer ainsi une société indépendante et un empire ; il comprit aussi ce qu’il convenait de faire pour contraindre le plus sûrement ce peuple à l’obéissance ; mais ce qu’il ne comprit pas, ce qui ne lui fut pas révélé, c’est que les moyens dont il se servait étaient les meilleurs qu’il pût prendre ; c’est que, le peuple une fois soumis à l’obéissance dans la contrée où il l’avait conduit, le but que poursuivaient les Hébreux serait atteint. Voilà pourquoi il comprit toutes ces choses, non pas comme des vérités éternelles, mais comme des préceptes et des commandements. Voilà aussi pourquoi il les prescrivit comme des lois de Dieu, et par suite se représenta Dieu comme un chef, un législateur, un roi, bien que tous ces attributs n’appartiennent qu’à la seule nature humaine et soient bien éloignés de la divine.

Je dis donc qu’il faut entendre de la sorte tous les prophètes qui ont prescrit des lois au nom de Dieu ; mais tout ceci n’est point applicable au Christ. Il faut admettre en effet que le Christ, bien qu’il paraisse, lui aussi, avoir prescrit des lois au nom de Dieu, comprenait les choses dans leur vérité d’une manière adéquate. Car le Christ a moins été un prophète que la bouche même de Dieu. C’est par l’âme du Christ (nous l’avons prouvé au chap. Ier) que Dieu a révélé au genre humain certaines vérités, comme il avait fait auparavant aux Juifs par l’intermédiaire des anges, par une voix créée, par des vi-