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nées, où catholiques et protestants, luthériens et calvinistes, gomaristes et arminiens, les communions les plus opposées, les adversaires les plus implacables, tout s’unit, tout se met d’accord pour accabler l’ennemi commun. Partout retentissent les noms d’imposteur, d’athée, d’impie, de renégat. Pour Grœvius[1], Spinoza est une peste, son livre un don sinistre de l’enfer. Le docteur Musæus déclare que Spinoza est un esprit infernal, ambassadeur soudoyé de Satan[2]. Christian Kortholt badine sur les mots, et trouve dans le nom même de l’épineux incrédule une source inconnue d’injures[3]. Après s’être acharné aux lettres de son nom, il ne restait plus qu’à défigurer les traits de son visage. On n’y manqua pas. Des portraits de Spinoza se répandirent, où on l’avait représenté, sinistre et farouche, tenant, comme Némésis, des serpents dans la main. On écrivait au-dessous de ces portraits des épigraphes comme celles-ci :


Benoît de Spinoza, juif et athée,


ou mieux encore :


Benoît de Spinoza, prince des athées,
portant jusque sur son visage les signes de la réprobation[4].


Poursuivi par tous les clergés d’Europe, Spinoza trouvera-t-il un asile chez les philosophes ? Il semblerait assez naturel de le croire ; car la philosophie alors, c’était le cartésianisme, et Spinoza était cartésien. Point du tout : l’auteur de l’Éthique rencontre chez les carté-

  1. George Grævius, in Epist. ad Nic. Heins., 14 janvier 1676. – In Burmani sel. epist., tome IV, page 475.
  2. Tract. Theolog-polit, ad veritatis lumen examinanatus, pages 2 et 8.
  3. « Benedictus de Spinoza, quem melius maledictum diexeris, quod spinosa divina ex maledictione (Genes. 3, 17, 18), terra maledictum magis hominem et cujus monumenta tot spiris obsita sint, vu unquam tulerit, vir mitio Judæus, sed postea… » (Korth. De trib. impost., page 73).
  4. Th. de Murr, Adnot. ad Tract. ; page 7.