Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/72

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ment, c’est la faire tomber dans la succession et le mouvement, c’est la charger de toutes les misères de notre nature. L’entendement est de soi déterminé et successif ; il consiste à passer d’une idée à une autre idée dans un effort toujours renouvelé et toujours inutile pour épuiser la nature de la Pensée. L’entendement est une perfection sans doute, car il y a de l’être dans une suite d’idées ; mais c’est la perfection d’une nature essentiellement imparfaite qui tend sans cesse à une perfection plus grande, sans pouvoir jamais toucher le terme de la perfection véritable. Supposez l’entendement infini, ce ne sera jamais qu’une suite infinie de modes de la Pensée, et non la Pensée elle-même : la Pensée absolue, qui ne se confond pas avec ses modes relatifs, quoiqu’elle les produise, la Pensée infinie, qui sans cesse enfante et jamais ne s’épuise, la Pensée immanente qui, tout en remplissant de ses manifestations passagères le cours infini du temps, reste immobile dans l’éternité.

Plein du sentiment de cette opposition, Spinoza l’exagère encore, et va jusqu’à soutenir qu’il n’y a absolument rien de commun entre la pensée divine et notre intelligence, de sorte que, si on donne un entendement à Dieu, il faut dire, dans son rude et énergique langage, qu’il ne ressemble pas plus au nôtre que le Chien, signe céleste, ne ressemble au chien, animal aboyant.

La démonstration dont se sert Spinoza pour établir cette énorme prétention est aussi singulière que peu concluante. Pour prouver que la pensée divine n’a absolument rien de commun avec la pensée humaine, sait-on sur quel principe il va s’appuyer ? sur ce que la pensée divine est la cause de la pensée humaine. Ce raisonneur si exact oublie sans doute que la troisième Proposition