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sence, c’est en contredire la notion. Mais supposons l’Étendue divisée ; on demande si chaque partie sera infinie ? Oui, sans doute, mais d’une infinité appropriée à sa nature, d’une infinité partielle. On se récrie en entendant parler d’un infini plus grand qu’un autre infini ; c’est qu’on n’a pas assez approfondi la nature de l’infini.

Il y a trois degrés dans l’infinité[1]. Au premier degré on doit placer ce qui est absolument infini par la vertu de son essence, c’est-à-dire ce qui est l’Infini même, Dieu. Au second degré se trouvent des infinis relatifs et déterminés, qui ne sont point infinis par la force de leur essence, mais par celle de la cause qui les produit ; par exemple, la pensée et l’étendue infinies. Enfin, il y a encore une espèce inférieure de choses infinies, celles qui ont des limites, mais dont les parties ne peuvent être égalées ni déterminées par aucun nombre, quoique l’on sache le maximum ou le minimum où ces parties sont comprises ; par exemple, une ligne finie a un nombre infini de points ; une durée finie comprend une infinité d’instants. L’infini absolu n’a absolument aucune limite, aucune détermination. L’infini relatif est illimité, mais en même temps déterminé dans son être. L’infini du troisième degré est à la fois déterminé et limité dans son être ; il n’est illimité que dans ses parties.

Sans doute ce qui est absolument infini n’a aucune proportion numérique avec quoi que ce puisse être ; mais il ne s’ensuit pas qu’il répugne à la nature de l’infini pris en général, qu’un infini soit plus élevé et même plus grand qu’un autre infini. Ainsi, l’on peut fort bien

  1. Voyez toute la Lettre XV à Louis Meyer.