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trine. Quand on donne en effet à l’espace une réalité distincte et absolue, que répondre à Spinoza qui vient vous dire : « L’espace existe, et il est infini. Ce qui est infini est parfait dans son genre ; ce qui est parfait ne peut être que Dieu lui-même ou une manifestation immédiate de sa perfection. »

Mais il est juste et nécessaire de signaler ici, entre l’opinion des nestoriens et celle de Spinoza, une différence capitale. Pour Newton l’espace pur, l’immensité, est distincte des corps, non pas d’une distinction tout idéale, mais d’une effective et réelle distinction. Les corps se meuvent dans l’espace ; mais ôtez les corps et leurs mouvements, l’espace demeure. Pour Spinoza, les corps sont les modes de l’étendue infinie, de l’espace pur, de l’immensité divine, peu importe le nom. Ils sont donc distincts de l’Étendue, mais ils n’en sont pas séparés ni séparables. Cette union est si forte que Spinoza dit quelque part : « Qu’un seul corps vienne à être anéanti, l’étendue infinie périt avec lui[1]. »

Chose singulière ! l’Espace et le Temps, qui ont toujours, dans les Écoles philosophiques, subi la même fortune, réduits par Aristote, par Leibnitz, à de simples rapports des êtres, par Kant à des formes de la sensibilité, élevés par les nestoriens et les Écossais au rang de réalités absolues, mais qui toujours, reconnus ou niés, diminués ou agrandis dans le degré et le caractère de leur être, ont partagé un sort commun, l’Espace et le Temps, dis-je, jouent un rôle infiniment différent dans la philosophie de Spinoza.

L’Espace est infini, réel ; il est la substance des corps,

  1. Lettre à Oldenburg, tome III, pag. 358.