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Le résultat de cette double démonstration, c’est que Dieu est à la fois étendu et indivisible. Spinoza n’était pas homme à se faire illusion sur cette énorme difficulté (à nos yeux insoluble) de sa doctrine. Mais il faut reconnaître qu’il l’a abordée avec franchise. Tout s’explique, à l’en croire, par la distinction de l’étendue finie, qui est proprement le corps, et de l’étendue infinie, qui seule convient à la nature de Dieu.

Dire que Dieu est étendu, ce n’est pas dire que Dieu ait longueur, largeur et profondeur, et se termine par une figure. Car alors Dieu serait un corps, c’est-à-dire un être fini, ce qui est, suivant Spinoza, l’imagination la plus grossière et la plus absurde qui se puisse concevoir[1]. Dieu n’est pas telle ou telle étendue divisible et mobile, mais l’Étendue en soi, l’immobile et indivisible Immensité.

L’opinion de Spinoza, par cet endroit, se rapproche beaucoup de la célèbre doctrine de Newton, soutenue par Samuel Clarke, avec un zèle aussi ardent qu’inutile, contre la dialectique accablante de Leibnitz :

Newton disait de Dieu Non est duratio et spatium, sea durat et adest, et existendo semper et ubique, spatium et durationem constituit[2]. Spinoza eût certainement souscrit à cette formule, et Leibnitz le savait bien, lui qui serrait Clarke de si près sur ce point délicat, et lui montrait du doigt le panthéisme à l’extrémité de sa doc-

  1. De Dieu, Schol. de la Propos. 15.
  2. Newton, Principia, Schol. gener. sub finem. Voici le morceau tout entier : « Deus æternus est et infinitus, omnipotens et ommisciens ; id est, durat at æterno in æternum, et adest ab infinito in infinitum ; omnia regit et omnio cognoscit, quæ fiunt aut fieri possunt. Non est æternitas vet infinitas ; non est duratio et spatium, sed durat et adest. Durat semper et adest ubique ; et existendo semper et ubique, durationem et spatium, æternitatem et infinitatem constituit. »