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noza sur ces trois grands objets, l’essence, l’étendue et la pensée de la Substance.

Si l’essence de Dieu, prise en soi, s’exprime, se développe par une infinité d’attributs, et d’un autre côté, si nous ne pouvons connaître positivement que deux de ces attributs, l’Étendue et la Pensée, nous ne connaissons donc qu’infiniment peu l’essence de Dieu, et cette connaissance misérable s’évanouit et s’efface entièrement devant l’idéal d’une connaissance pleine et absolue, d’une connaissance véritable de l’essence divine.

Ce n’est point ainsi que Spinoza entend les choses. Il convient que nous ne connaissons qu’infiniment peu les attributs de la Substance infinie, puisque nous n’en pouvons atteindre qu’un certain nombre, et qu’elle en possède un nombre innombrable, une infinité. Mais il soutient que nous concevons parfaitement, que nous comprenons dans son fond, que nous connaissons enfin d’une connaissance adéquate l’essence de la Substance[1]. Comment, en effet, savons-nous que la Substance a une infinité d’attributs ? parce que nous voyons clairement et distinctement son essence qui les contient. À quelle condition mesurons-nous la différence infinie qui sépare notre science des attributs de Dieu, de l’idéal de cette science ? à condition de comprendre qu’il y a un idéal, c’est-à-dire à condition de comprendre que l’essence de Dieu enveloppe une infinité d’attributs, c’est-à-dire enfin à condition de comprendre cette essence. Oui, il existe un abîme entre le néant que nous sommes et l’Être que nous contemplons. Cet abîme infini confond et accable notre nature ; mais elle se relève en le mesurant.

  1. De l’Âme, Propos. 47.