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d’attributs ; car suivant qu’une chose a plus de réalité ou d’être, un plus grand nombre d’attributs lui appartiennent[1]. L’être de la Substance étant infini, il est donc nécessaire qu’il s’exprime par une infinité d’attributs ; autrement les attributs de la Substance tomberaient sous la condition du nombre, du degré, du plus ou du moins, tandis que son être n’y tomberait pas, ce qui est contradictoire.

Nous savons donc de science certaine et par la plus claire intuition que Dieu se développe en une infinité d’attributs qui expriment, chacun à sa manière, l’absolue infinité de son être ; et cependant, chose au premier abord inconcevable, nous n’en connaissons véritablement que deux, savoir, l’Étendue et la Pensée. De sorte qu’après avoir dit : Dieu est, il est l’Étendue, il est la Pensée, notre science positive de Dieu est épuisée. L’homme peut approfondir à l’infini cette triple connaissance, mais il est dans une impuissance éternelle d’y rien ajouter, et mille générations de philosophes se consumeraient en vain pour dépasser d’une ligne ce cercle fatal où nous enferme l’irrévocable condition de notre nature.

Aux esprits superficiels notre science de Dieu paraît infiniment plus riche. Nous pouvons dire, en effet, que Dieu possède l’éternité, l’immutabilité, l’activité, la causalité, la puissance, et ainsi de suite. Mais l’éternité de la Substance, c’est son existence elle-même, en tant qu’elle résulte de son essence[2] ; car il est clair qu’une telle existence ne peut s’étendre dans la durée[3], bien

  1. Éthique, de Dieu, Propos. 9.
  2. De Dieu, Propos. 19,
  3. Éthique, part. 1, Explication de la Définition 8.