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parfaite, et on ne peut pas mieux prouver qu’il n’existe qu’une substance unique, ce qui veut dire, dans la langue de Spinoza, qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Mais regardez au corollaire de cette proposition incontestable. Voici ce que Spinoza en prétend déduire : c’est que la chose étendue et la chose pensante sont des attributs de Dieu ou des affections des attributs de Dieu, en d’autres termes, que les corps et les âmes sont de purs modes dont Dieu est la substance.

Il faut avouer que le passage est un peu brusque de cette proposition : il n’y a qu’une seule substance, qui, traduite en langage ordinaire, veut dire il n’y a qu’un seul Dieu ; à celle-ci tout ce qui est, est un attribut ou un mode de Dieu. De quel droit Spinoza peut-il franchir cette distance infinie ?

Plus d’un esprit sérieux, déconcerté par ce mouvement imprévu et en apparence déréglé de la déduction, pourrait croire ici, ou bien que Spinoza raisonne mal et tombe dans quelque erreur logique, ou bien qu’il profite de l’ambiguïté du mot substance pour introduire le panthéisme à la faveur d’un malentendu.

Rien de tout cela n’est fondé. Spinoza n’est point un sophiste ; c’est un esprit parfaitement sincère et profondément convaincu. Spinoza raisonne avec une rigueur parfaite ; mais il raisonne sur cette donnée primitive : il n’y a que trois formes possibles de l’existence, la Substance (c’est-à-dire l’Être en soi), l’attribut, le mode. Ce sont là ses définitions, c’est-à-dire ses principes ; il s’y appuie avec confiance. Or, il a été démontré que la Substance existe et qu’elle est unique. Il suit de là rigoureusement que tout ce qui n’est pas la Substance en est un attribut ou un mode. Et comme il est clair que