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de Dieu de l’idée de sa perfection[1].

« La perfection, dit-il[2], n’ôte pas l’existence, elle la fonde. C’est l’imperfection qui la détruit ; et il n’y a pas d’existence dont nous puissions être plus certains que de celle d’un être absolument infini ou parfait, savoir, Dieu ; car son essence excluant toute imperfection, et enveloppant, au contraire, la perfection absolue, toute espèce de doute sur son existence disparaît ; et il suffit de quelque attention pour reconnaître que la certitude qu’on en possède est la plus haute certitude[3]. »

  1. Spinoza n’admettait pas l’argument a posteriori, je veux dire celui qui fondé sur l’impossibilité d’un progrès à l’infini de causes secondes. On comprend bien que Spinoza ne pouvait pas reconnaître pour solide une preuve diamétralement opposée a un des principes fondamentaux de sa philosophie (voyez Éthique, part. 1, Propos. 18.) Mais non-seulement Spinoza ne veut pas de l’argument a posteriori pour son propre compte il ne veut pas qu’Aristote l’ait adopté. Voici un passage curieux d’une lettre à Louis Meyer :
    « Je veux noter en passant que les nouveaux péripatéticiens ont mal compris, à mon avis, la demonstratin que donnaient les anciens disciples d’Aristote de l’existence de Dieu. La voici, en effet, telle que je la trouve dans un juif nommé Rabbi Ghasdaj : Si l’on suppose un progrès de causes à l’infini, toutes les choses qui existent seront des choses causées. Or, nulle chose causée n’existe nécessairement par la seule force de sa nature. Il n’y a donc dans la nature aucun être à l’essence duquel il appartienne d’exister nécessairement. Mais cette conséquence est absurde. Donc le principe l’est aussi. On voit que la force de cet argument n’est pas dans l’impossibilité d’un infini actuel ou d’un progrès de causes à l’infini. Elle consiste dans l’absurdité qu’il y a à supposer que les choses qui n’existent pas nécessairement de leur nature ne soient pas déterminées à l’existence par un être qui existe nécessairement. » (Lettres, XV, tome III, page 389.)
    À la vérité, Spinoza dit quelque part qu’il va prouver l’existence de Dieu a posteriori ; mais voici sa démonstration (Éthique, de Dieu, Propos. 11) : « Pouvoir ne pas exister, c’est évidemment une impuissance, et c’est une puissance, au contraire, que de pouvoir exister. Si donc l’ensemble des choses qui ont déjà l’existence ne comprend que des êtres finis, il s’ensuit que des êtres finis sont plus puissants que l’être absolument infini, ce qui est, de soi, parfaitement absurde. Il faut donc de deux choses l’une, ou qu’il n’existe rien, ou, s’il existe quelque chose, que l’être absolument infini existe aussi. Or, nous existons, nous, ou bien en nous-mêmes, ou bien en un autre être qui existe nécessairement. Donc, l’être absolument infini, en d’autres termes, Dieu, existe nécessairement. Chacun reconnaît la la preuve a priori sous une de ses formes les plus hardies, les plus paradoxales.
  2. Éthique, de Dieu, Schol. de la Propos. 11.
  3. On pense involontairement à l’éloquent passage de Bossuet: « L’impie demande : Pourquoi Dieu est-il ? Je lui réponds : Pourquoi Dieu ne serait-il pas ? Est-ce à cause qu’il est parfait, et la perfection est-elle un obstacle à l’être ? Erreur insensée ! au contraire, la perfection est la raison d’être. Mon âme, âme raisonnable, mais dont la raison est si faible, pourquoi veux-tu être et que Dieu ne soit pas ? Hélas ! vaux-tu mieux que Dieu ? Âme faible, âme ignorante, dévoyée, pleine d’erreurs et d’incertitudes dans ton intelligence, pleine, dans ta volonté, de faiblesse, d’égarement, de corruption, de mauvais désirs, faut-il que tu sois, et que la certitude, la compréhension, la pleine connaissance de la vérité et l’amour immuable de la justice et de la droiture ne soit pas ? (Élévations 1re semaine, Élev. 1.)