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Descartes ne l’avait probablement point inventé, mais emprunté, sans s’en rendre bien compte, à la tradition scolastique dont les jésuites l’avaient nourri[1]. Au surplus, il ne faut pas croire que Spinoza ait attribué à sa démonstration plus d’importance qu’il ne convient. Il savait qu’un syllogisme résume une croyance, mais ne la fonde pas, et qu’il y a quelque chose de plus fort que tous les syllogismes, je veux dire l’élan irrésistible d’une âme bien faite vers Dieu. C’est une belle parole que celle d’Hemsterhuis : « Un seul soupir de l’âme qui se manifeste de temps en temps vers le meilleur, le futur et le parfait, est une démonstration plus que géométrique de la Divinité[2]. »

Spinoza n’aurait point désavoué cette forte et haute pensée. Ce grand logicien n’a pas méconnu, cette fois au moins, les limites de la logique ; et il n’a pas ignoré que l’existence de Dieu, avant d’être une conclusion, est un acte de foi de l’intelligence. Pour Spinoza, une âme philosophique est celle où l’idée de Dieu domine sans partage et gouverne en maîtresse absolue les pensées et les désirs. Une telle âme ne peut point douter de l’existence de Dieu, car pour elle tout la contient et la suppose. Ce qui rend l’existence de Dieu incertaine aux âmes vulgaires, c’est que l’idée de Dieu est obscurcie en elles par les ténèbres des sens. Ce flot d’images et d’impressions qui les assaille et les emporte au gré du hasard ne leur permet pas de prendre possession d’elles-mêmes et de s’établir sur le terrain solide des idées. À ces in-

  1. Voy. saint Anselme, Proslogium, cap 2 ; Saint Thomas, Summ. theolog., pars 1, quæst. 2, art. 1. – Contra gentil. 1, 10. Duns Scott, Opp, tome V, pars 1, dist. 2, quæst. 2. Saint Bonaventure Opusc., p. 712. – Albertus Magnus, Summa theolog., pars 1, tract. 3, quæst.) 17.
  2. Aristée, page 168.