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nature incréée, il ne s’ensuit pas qu’il ne puisse y avoir plusieurs substances, mais seulement que, s’il en existe en effet plusieurs, elles sont toutes incréées et, à ce titre, indépendantes l’une de l’autre. D’ailleurs, on ne sait pas encore s’il existe une Substance. Il faut donc, pour établir l’unicité de la Substance, démontrer deux choses : premièrement, qu’il y a une Substance ; secondement, qu’il ne peut y en avoir qu’une seule.

Rien au monde ne pouvait moins embarrasser Spinoza que la démonstration de l’existence de la Substance, c’est-à-dire de l’existence de Dieu. On l’a accusé d’athéisme et d’impiété ; mais répéter avec passion une accusation injuste, sans prendre la peine de la vérifier ni même de la comprendre, est-ce en changer le caractère ?

Voici la démonstration de Spinoza : « Dieu, c’est-à-dire une substance constituée par une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie, existe nécessairement. — Démonstr. Si vous niez Dieu, concevez, s’il est possible, que Dieu n’existe pas. Son essence n’envelopperait donc pas l’existence. Mais cela est absurde. Donc Dieu existe nécessairement. C. Q. F. D. »

Il est aisé de reconnaître là le syllogisme célèbre de Leibnitz qui n’est que l’argument cartésien simplifié[1].

  1. 1. Je le cite pour faciliter le rapprochement : « Ens ex cujus essentia sequitur existentis, si est possibile, id est, si habet essentiam, existit (est axioma menticum demonstratione non indigens). Atqui, Deus est ens ex cujus essentia sequitur existentia (est definitio). Ergo, si Deus est possibilis, existit (per ipsius conceptus necessitatem). » Leibnitz, Lettre à Bierling.
    2. Je cite également le syllogisme de Descartes Dire que quelque attribut est contenu dans la nature ou dans le concept d’une chose, c’est le même que de dire que cet attribut est vrai de cette chose et qu’on est assuré qu’il est en elle.
    « Or est-il que l’existence nécessaire est contenue dans la nature ou dans le concept de Dieu.
    « Donc il est vrai de dire que l’existence nécessaire est en Dieu, ou que Dieu existe. » (Descartes, Réponses aux secondes Objections.)