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ment encore qu’une substance ne peut absolument pas être produite[1]. Il est clair, en effet, que si deux substances d’attributs divers n’ont rien de commun, et par suite ne peuvent être cause l’une de l’autre, et s’il ne peut y avoir deux substances d’attributs identiques, il est clair, dis-je, que la production d’une substance par une autre substance est impossible, et déjà implicitement qu’il n’y a qu’une seule substance.

On pourrait croire qu’en établissant cette thèse, le spinozisme a fait un grand pas. Ce serait se méprendre étrangement. La conclusion à laquelle aboutit péniblement Spinoza par l’enchaînement laborieux des six premières propositions de l’Éthique, cette conclusion est pour ainsi dire évidente d’elle-même. Traduisez-la, en effet, en langage ordinaire : elle signifie qu’un être qui, par hypothèse, est une Substance, c’est-à-dire existe en soi et par soi, ne peut être produit, c’est-à-dire exister et être conçu par un autre être, ce qui a à peine besoin d’être démontré.

Le langage ici peut faire quelque illusion, et ce n’est pas sans apparence de raison qu’on a reproché à Spinoza d’avoir profité de l’ambiguïté de la langue qu’il s’était faite pour introduire ses doctrines par des voies détournées. Ici, par exemple, à prendre les mots dans le sens ordinaire, il semble qu’il soit démontré que la création est impossible, principe justement cher au panthéisme ; tandis qu’au fond, tout ce qui est démontré, c’est que l’Être en soi est nécessairement incréé, vérité incontestable, dont le panthéisme n’a rien à tirer. Mais il ne faut pas croire que Spinoza ait voulu sur-

  1. Coroll. de la Propos. 6.